18 juin 2006

les trois petites planches de la grand-mère de Jiri Kolar


1) Quelques nouvelles des planches à laver : résumé des épisodes précédents

En 1998, au moment de quitter la République tchèque, j'achète trois petites planches à laver chez le brocanteur de la rue Ricni devant l'arrêt de tram. Je trouve ces trois objets très simples et très beaux comme trois petits tableaux inachevés.
Quelque temps auparavant, j'ai visité une exposi
tion des collages de Jiri Kolar. La question que je me pose : a-t-il collé sur des planches à laver ? Avant de partir, je colle des bouts de papier, récoltes et résidus des quatre années passées.
28, 2
9, 30. Trois, deux , un, partez. Je pars.

Mais ces planches ne sont pas celles de la grand-
mère de Jiri Kolar. Elles ont servi à qui ? Et qui est venu les vendre pour quelques couronnes ?
Elles ont servi à quoi ? Plus j'y pense et plus l'objet me raconte des histoires : de linge, des histoires de femmes, d'hommes. La planche devient un récit de vie universelle. Je commence à collectionner ces histoires. De larmes, de sang " il ne faut pas laver le sang à l'eau chaude, disait nadia, ça l
e cuit"), de sueur, de crasse, de jus de framboises, de poussière d'amiante ( la dame brésilienne qui racontait à la télé qu'elle en était recouverte quand elle lavait les bleus de son mari).

En 99, Hélène m'en rapporte une magnifique en bois sculpté qui semble venir d'Afrique. Les noeuds du bois font comme des initiales .
J'en fais une planche d'amour.

Elle en apporte une autre de la part de Marie
Eve, que je connaissais à peine. J'ai 5 planches. Leur cadeau est un encouragement à continuer à peindre. Il y a du pain sur les planches. 7 ans plus tard, je viens de me coltiner à la planche de Marie Eve.

J'aimerais être comme le linge tourné et retourné sous la douceur de la mousse.( découpé dans le courrier des lecteurs deLibé vers 1985)



Françoise m'en ramène plusieurs des Etats Unis. Les mormons continuent de les utiliser. Il y a même un modèle de voyage, à glisser dans les valises. Mais Rodolphe, le percutionniste m'en prend une pour faire de la musique. Car chaque jour, l'objet se charge de sens : c'est aussi un instrument de musique.On joue en enfilant des dés à coudre à ses doigts.






A Orléans, je trouve aux puces du Boulevard Alexandre Martin, le modèle du catalogue Manufrance. Elle devenue la planche d'une femme de marin. Pourquoi ?
J'ai tant de fois traversé le boulevard Alexandre Martin pour aller du CES Jeanne d'Arc à la piscine du Palais des sports, en rêvant à l'océan.









A Gramat, dans le Lot, sous les halles, celle qui deviendra en 2006 la planche d'Albertine q
ui rêvait de roses.

2004 : je découvre le livre d'Yvonne Verdier " Façons de dire, façons de faire, la laveuse, la couturière, la cuisinière" Gallimard, 1979 réédité en 2003, pendant un stage sur le conte à l'IUFM de la Rochelle. La laveuse, c'est la femme qui aide, celle qui est chargée de "faire les passages", qui aide les enfants à naître et à grandir et les gens à mourir.
Dans une version orale du Petit Chaperon rouge, les laveuses qui sont en train de faire la buée ( la grande lessive) aident le Petit Chaperon Rouge à traverser la rivière en tendant un drap pour qu'elle ne se noie pas. Elles font pareil pour le loup qui la suit mais elles lâchent le drap et il se noie. ( racontée par Y. Verdier dans un article sur le Petit Chaperon Rouge "Grands-mères, si vous saviez ..., le Petit Chaperon Rouge dans la tradition orale". Les Cahiers de la littérature orale IV (1978) On peut lire l'article complet sur Internet.
expositions.bnf.fr/contes/









Au Portugal, la quête est longue, les femmes utilisent des bacs avec planches intégrées en ciment. Impossible à déplacer. Miraculeusem
ent j'en trouve deux dans une droguerie d'Amadora. C'est Valérie qui les a chez elle. Ce sont les stèles de deux portugaises, veuves de la guerre de 14-18.

A Matera, en Italie, chez Sandra, il y en a une magnifique, usée, faite avec le bois des arbres qui couvrait le domaine englouti il y a des années par un barrage. mais au marché de Matera, à la sortie de la ville, il y a toutes les tailles et il faut marchander. En dialecte de Matera , on dit strucaturo. La semaine dernière, les trois planches de Matera sont devenus une "geografical fugue" aux couleurs de l'Italie : rouge de venise, jaune de naples, vert véronèse.

A Augsburg, devant le Fuggerei, je trouve une planche en verre. Je laisse une planche en porcelaine, trop cher. La règle de la collecte : pas de pièce de collection.

A Archingeay, près de Tonnay Boutonne, je me laisse pourtant tenter par une magnifique planche, composée d'un système de roulements en bois. Je n'y ai pas touché.

Mais les plus belles, c'est encore à Prague que je les trouve en 2003. Des petites dames sont venues se défaire de leurs reliques. Je passe des heures en tête à tête avec elles. Je les écoute raconter . C'est parfois difficile d'y toucher. Petit à petit, raconter à mon tour sans trahir.

Voilà huit années que les planches s'accumulent. De temps en temps, le mot fait ressurgir des souvenirs. De planche. mais pas à laver. Jamais je n'ai vu quelqu'un de ma famille utiliser ce genre d'objet. L'été, à Aytré, il n'y avait pas de machine, tout se lavait à la main dans une bassine avec du Génie sans bouillir mais je ne revois pas ma grand-mère frottait sur une planche. A Patay, non plus, pas de machine à laver mais il est possible qu'il y ait eu une planche à laver, derrière, dans la buanderie mais j'éprouvais plutôt , quoi ? du mépris ? du dégoût ? de l'indifférence pour ces oubliés de la modernité. Tout ça pour dire que ces planches à laver, je n'en ai aucun souvenir personnel.

Planche , j'entends :

"Les nageurs du cours collectif de crawl sont attendus sous le plongeoir avec leur planche" dit la voix au micro de la piscine découverte des canards Rochelais qui n'existe plus.

"La Trinite Porhouet, tel est mon but, Emmaus, c'est ma planche de salut! " répète en boucle le vieux cheminot, ancien journalier dans les fermes du Centre Bretagne que nous avons pris en stop et sa voix résonne encore dans nos oreilles.


Mais ça n'a rien à voir.

De fil en anguille, de planche en planche, j'en suis venue au battoir ( le tapou) et l'image de Gervaise au lavoir s'est imposée. Le lieu de toutes les violences. Violence du battoir contre le linge, violence du drap que l'on jette dans l'eau pour le rinçage, violence des mots...
Le linge parle et les mauvaises langues avec lui. J'ai revu hier Peau d'Ane à l'école et ce sont les laveuses qui chantent dans la cour de la ferme, pour insulter "Peau d'âne".


5 commentaires:

christinecho a dit…
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Anonyme a dit…

Hey what a great site keep up the work its excellent.
»

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
christinecho a dit…

Merci Nicole, moi aussi j'ai des saudades de te revoir.
Et vous anonymous, who are you ? Are you english-speaking friends from Sweden, Holland or anywhere else ?

félicie a dit…

Beau travail sur les planches à laver... et sais-tu que, parallèlement à leur utilisation "classique", ces fameuses planches ont servi à des musiciens peu fortunés, au début du 20ème siècle, comme percussion (parmi toutes sortes d'instruments de fortune comme la contrebassine, ou la "jug") !... et que cela dure aujourd'hui, dans divers pays... Je joue moi-même de la planche à laver dans deux formations : "Mary-Lou" et "Hoboes", je t'invite à faire un saut sur mes blogs : http://bloghoboes.canalblog.com et http://groupemarylou.canalblog.com
Je pourrais faire un lien avec ton blog si ça te dit !
Bonne continuation et bonne année !!