20 mars 2009

Lettre de Canala 1


Le fameux amateur d'art Gonçalo Campos Dias, exilé en Nouvelle Calédonie sous le pseudonyme de Robinson C, envoie le texte de présentation de mon exposition. Jugé trop personnel par Mano pour être posé sur le piano de Niort mais destiné à être lu ici. On appréciera la performance sachant que l'ADSL n'arrivera que demain à Canala c'est à dire aujourd'hui, ou après demain, on verra bien.


Dans l'ordre d'apparition : Agustina Bessa Luis romancière portugaise, Déwé Gorodé poètesse  et femme politique kanake, Anjela Duval, poètesse bretonnante, Yvonne Verdier ethnologue des laveuses, Schwitters artiste Dada, colleur fantastique, ramasseur de débris ( my favourite), le pharmacien de Canala, dépanneur de pommade contre l'eczéma, voisin, cycliste et linguiste amateur, Bartleby, héros de Herman Melville qui ne veut surtout pas travailler plus pour gnagnagna, sainte Christine du pas de côté et du bas profil ( ? là je vois pas l'allusion), Jean Christophe Bailly, philosophe et enfin corvus habilis ( désolée je n'ai pas fait latin, j'ai fait sport études natation on était dispensés)
Enfin le xârâcùù est la langue kanake parlée à Canala.

Lettre de Canala (1)

Ainsi Canala serait loin de Niort. De l’autre côté, à l’envers. Cette question de l’éloignement est peut-être futile : « pour un esprit détaché, tout lieu est lointain » suggère le sage poète chinois du Vème siècle (d’après, du moins, la malicieuse Agustina Bessa Luis, du XXIème et c’est même pas sûr). Déwé Gorodé dialoguait à Sydney avec un… c’est mieux de pas dire caldoche :
« Ailleurs comme ici
si ailleurs est ici
pour ceux qui écoutent et partagent »

De toute façon, on a tes cartes. Pas sûr qu’elles nous positionnent au mieux. Pas formidable pour séparer le haut du bas, pour afficher les routes les plus courtes, les itinéraires optimaux. Par contre, elles nous y emmènent, ailleurs. Là où on ne savait pas vraiment vouloir aller; on savait même pas que ça existait. Et puis on peut toujours s’envoler, de partout : Bohême, Chypre, Baltique (il y a même un aérodrome à Canala) et alors survoler les mots, les caractères, les hachures et les pointillés, le orange ou le gris, et ces … ce sont des gens dans des chemises ?
Tes cartes/collages amènent aux toponymes. Et là-bas ? L’enfance !
Il n’y a pas d’antipodes pour ceux qui volent. Pas de Tropiques pour ceux qui s’aiment ?

T’as pas oublié tes planches ? Pas vues encore en Kanaky. Probable pourtant, qu’en brousse, on lavait son linge. Et les stockmen australiens ? Des planches néo-zélandaises pour cols durs protestants et robes mission ? Des ni-vanuataises ? Des maories ? Pourquoi pas hawaïennes ! Du surf !…


Sérieux, retour aux lavoirs, de Melle (Deux Sèvres) ou du Douro. On présume maintenant que c’est pareil. « Un jour, alors qu’il traversait la cour en direction du verger, il vit Josefa penchée au-dessus du lavoir. Elle ne se retourna pas en l’entendant approcher, et cela le contraria. Mais, en même temps, la voir ainsi de dos, ses vêtements retroussés, l’eau lui coulant le long des bras, le mettait seul à seul avec sa nudité. C’était son âme que l’on consommait, et non son corps, lorqu’on la couvait ainsi des yeux. Elle le savait. Elle se retourna lentement, essuya un peu de mousse sur son visage et lui adressa un grand sourire. Ce sourire était-il d’amour ? C’était, en tout cas, un acte de salut. » Toujours cette coquine bouleversante d’Agustina.
Dommage qu’Yvonne Verdier n’ait pas rencontré Anjela Duval (après tout, Schwitters est bien mort à Ambleside, Lake District, isn’t he ?).
« Finis les battoirs –et les Langues –
Autour des lavoirs
Couverts de lentilles d’eau » Mon village(Va C’hêriadenn), août 67
Et plus loin, plus tard :
« Choses délicieuses

- Par une journée torride, au milieu de l’été, aller laver à l’eau claire d’un lavoir à l’ombre d’un bouquet de saules. »

Parler donc du travail. Pour en avoir le cœur net, me suis rendu à la mine, Kouaoua, 45 km au nord de Canala. La mine, c’est la montagne, découpée en grands gradins. Est-ce une chance alors d’habiter la latérite (selon le pharmacien, « rouge » se dit « mya » en xârâcùù) ? Plus de sommets ? D’Olympes ? De la montagne offensée dégringole la Serpentine de 10 ? 12 km ? Le plus long du monde ? Un tapis roulant pour descendre le nickel (lequel serait vert) ; «convoyeur de minerai » est le terme technique. Tout en bas, dans la baie de Kouaoua (c’est le Pacifique, il est bleu), un minéralier immobile et silencieux comme la monstrueuse excavatrice jaune. A l’arrêt.
Tu les connais bien toi les enfants de Bartleby :
Work ? I would prefer not to… Sainte Christine du pas de côté et du bas profil. Jean Christophe Bailly les opposait à homo faber ( tu serais plutôt avec « corvus habilis ») : « et c’est là, sur le fond d’une catastrophe (…) que le monde du travail, selon la diversité enchevêtrée de tous ses modes, apparaît comme une sorte de maelström… Mais n’y aurait-il que cela et nos vies ne seraient pas racontées : car autre chose et là aussi depuis l’aube des temps, a lieu et se déroule – quelque chose qui n’est pas le travail ou que le travail à lui seul ne peut pas qualifier (…) Un autre film par conséquent, au tournage plus lent et plus secret, plein de rushes anonymes et de chutes lointaines – un film d’ouvertures qui longe la vie et la dédouble, la déploie, la sauve ».
C’est là que tu serais ?

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