Les faits les plus banals m'étourdissent, impressionné que je suis pas leur richesse, leur profondeur, leur éclat caché. Etant déjà absorbé par la simple réalité, si subtile et si abondante, je n'ai plus besoin du surnaturel pour rêver. Je ne rêve pas d'un autre monde. Je rêve dans ce monde.
Je ne partage pas trop l'idée de pays, de drapeau ou de nation. En tout cas, pas autant que mes compatriotes. Je dirais plutôt que c'est ici que je suis né, c'est ici que j'ai connu l'amour pour la première fois, c'est ici que vivent ma mère et mes tantes, et c'est ici que vient de mourir mon meilleur ami. Une accumulation. Cette masse de faits produit une émotion. Et cette émotion m'appartient en propre. C'est mon identité. Je ne crois pas que les gens soient plus intéressants ailleurs qu'ici, ni même que la vie y est meilleure. C'est sûrement différent, même si je ne sais pas de quoi est faite cette différence. Je pense avoir le droit, si tel est mon désir, d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté de la colline. C'est tout. Un désir personnel. Le mien.
On ne peut ni prévoir ni fabriquer un tel moment. Il faut attendre simplement qu'il revienne. Parfois, ça prend des semaines ou même des mois. Et subitement, une fois de plus, sans crier gare, comme la mort, il nous tombe dessus. Alors je n'arrive plus à respirer. Mes mains deviennent soudain moites. Ma langue, lourde. Tout est confus dans ma tête. Je n'arrive plus à formuler une simple pensée. J'ai l'impression que nous sommes en train de flotter comme dans un tableau de Chagall. Je sens que c'est le moment. Il est là , enfin. Il faut que je lui parle.
Dany Laferrière Le cri des oiseaux fous Lanctôt éditeur
En lisant ce matin, j'ai compris pourquoi j'aime autant les livres de Dany Laferrière.
1 commentaire:
et quand je serai au bout du rouleau ?
Bien sûr, je me suis posé la question.
En le regardant flotter au vent, je me suis souvenue qu'il y a un envers à l'endroit, une autre face...
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